CEDH : la vidéosurveillance secrète de caissières d’un supermarché méconnaît le droit au respect de la vie privée

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Les requérantes occupaient toutes un emploi de caissière dans un supermarché espagnol. La vidéosurveillance fut mise en place par leur employeur qui souhaitait faire la lumière sur des soupçons de vol après que le directeur du magasin avait remarqué des incohérences entre le niveau des stocks et les chiffres des ventes quotidiennes.
Les requérantes reconnurent avoir pris part aux vols et furent licenciées pour motifs disciplinaires. Trois des cinq requérantes signèrent un accord par lequel elles reconnurent leur participation aux vols et renoncèrent à contester leur licenciement devant les juridictions du travail, tandis que l’entreprise qui les avait employées s’engagea à ne pas lancer de procédure pénale.
Toutes les requérantes finirent par saisir la justice, mais leurs licenciements furent confirmés en première instance par les juridictions du travail puis en appel par le Tribunal supérieur de justice. Les tribunaux admirent les enregistrements vidéo comme éléments de preuve, considérant qu’ils avaient été obtenus légalement et confirmèrent les décisions de licenciement.

Les requérantes furent licenciées principalement sur le fondement d’enregistrements vidéo qui avaient selon elles été obtenus en violation de leur droit à la vie privée. Ainsi, invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée) et l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable), les requérantes dénonçaient une vidéosurveillance dissimulée et une utilisation par les juridictions nationales des données ainsi obtenues aux fins de conclure que leurs licenciements avaient été légitimes.
Trois des requérantes alléguaient également que la signature des accords avait été obtenue sous la contrainte, après le visionnage des enregistrements vidéo, et que ces accords n’auraient pas dû être admis comme preuves indiquant que leurs licenciements n’avaient pas été abusifs.

Le 9 janvier 2018, la Cour européenne des droits de l’Homme conclut en particulier qu’en vertu de la législation espagnole sur la protection des données, il aurait fallu faire savoir aux requérantes qu’elles avaient été placées sous surveillance, mais que ce ne fut pas le cas. Elle estime qu’il existait d’autres moyens de protéger les droits de l’employeur et que celui-ci aurait pu à tout le moins communiquer aux requérantes des informations générales concernant la surveillance. Les juridictions nationales n’ont donc pas ménagé un juste équilibre entre le droit des requérantes au respect de leur vie privée et les droits patrimoniaux de l’employeur.

La CEDH considère toutefois que la procédure dans son ensemble a été équitable car les enregistrements vidéo n’ont pas constitué les seuls éléments de preuve sur lesquels se sont appuyées les juridictions nationales pour confirmer les décisions de licenciement et les requérantes ont été en mesure de contester ces enregistrements devant les tribunaux.

La CEDH dit par quatre voix contre trois que l’Espagne doit verser à chacune des requérantes 4.000 € pour dommage moral.