CJUE : les fromages non couverts par l’AOP Manchego peuvent-il porter des images évoquant Don Quichotte ?

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Une fromagerie espagnole commercialise trois de ses produits en utilisant des étiquettes comportant le dessin d’un cavalier ressemblant aux représentations habituelles de Don Quichotte de La Manche, d’un cheval maigre et de paysages avec des moulins à vent et des brebis, ainsi que les termes « Quesos Rocinante » (fromages Rossinante), ces éléments faisant référence au roman de Miguel de Cervantès, Rossinante étant le nom du cheval monté par Don Quichotte.

Ces trois fromages ne bénéficient pas de l’appellation d’origine protégée (AOP) « Queso manchego », qui couvre les fromages élaborés dans la région de La Mancha (Espagne) avec du lait de brebis et dans le respect des conditions du cahier des charges de celle-ci.

L’organisme chargé de la gestion de cette AOP a introduit un recours contre le fromager, estimant que ces étiquettes et ces termes constituaient une évocation illicite de cette AOP au sens du règlement n° 510/2006 du 20 mars 2006.

Saisi de l’affaire, le Tribunal Supremo (Cour Suprême, Espagne) a demandé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), d’une part, si l’évocation d’une dénomination enregistrée est possible par l’emploi de signes figuratifs et, d’autre part, si l’utilisation de tels signes évoquant l’aire géographique à laquelle est liée une AOP est susceptible de constituer une évocation de celle-ci, y compris dans le cas où lesdits signes figuratifs sont utilisés par un producteur établi dans cette région, mais dont les produits ne sont pas couverts par celle-ci.

Par son arrêt rendu le 2 mai 2019, la CJUE considère que l’emploi de signes figuratifs est susceptible d’évoquer une dénomination enregistrée. En effet, le critère déterminant pour établir si un élément évoque la dénomination enregistrée est celui de savoir si cet élément est susceptible de rappeler directement à l’esprit du consommateur, comme image de référence, le produit bénéficiant de cette dénomination. Sur ce point, la Cour indique qu’il appartiendra au juge national d’apprécier si tel est le cas en l’espèce.

La Cour constate ensuite que l’utilisation de signes figuratifs évoquant l’aire géographique à laquelle est liée une appellation d’origine est susceptible de constituer une évocation de celle-ci, y compris dans le cas où les signes figuratifs sont utilisés par un producteur établi dans cette région, mais dont les produits, similaires ou comparables à ceux protégés par cette appellation d’origine, ne sont pas couverts par celle-ci. En effet, le règlement ne prévoit aucune exclusion en faveur d’un producteur établi dans une aire géographique correspondant à l’AOP et dont les produits sans être protégés par cette AOP sont similaires ou comparables à ceux protégés par cette dernière.

Le Tribunal Supremo a également demandé à la CJUE si la notion de « consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé », à la perception duquel la juridiction nationale doit s’attacher pour déterminer l’existence d’une « évocation » au sens du règlement précité, fait référence aux consommateurs européens ou uniquement aux consommateurs de l’Etat membre dans lequel est fabriqué le produit ou auquel cette dénomination est géographiquement liée, et dans lequel il est majoritairement consommé.
La Cour répond que cette notion doit être comprise comme faisant référence aux consommateurs européens, y compris aux consommateurs de l’Etat membre dans lequel est fabriqué le produit qui donne lieu à l’évocation de la dénomination protégée ou auquel cette dénomination est géographiquement liée, et dans lequel il est majoritairement consommé.