CJUE : l’ordre public et les bonnes mœurs en droit des marques

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Une société de production a demandé l’enregistrement de la marque verbale « Fack Ju Göhte », titre d’un film allemand à succès, en tant que marque de l’Union européenne pour plusieurs produits et services.
L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a rejeté cette au motif que ce signe verbal était contraire aux « bonnes mœurs » : la prononciation des termes « Fack ju » étant identique à celle de l’expression anglaise « Fuck you », l’Office a estimé qu’il s’agissait d’une injure choquante et vulgaire, insultant à titre posthume l’écrivain Johann Wolfgang von Goethe.

Le producteur a saisi la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) d’un recours contre l’arrêt du tribunal de l’Union européenne (TUE) ayant rejeté son recours. Il faisait état d’erreurs dans l’interprétation et l’application du règlement sur la marque de l’Union européenne, aux termes duquel sont refusées à l’enregistrement les marques qui sont « contraires à l’ordre public ou aux bonnes mœurs », ainsi que de violation des principes de l’égalité de traitement, de sécurité juridique et de bonne administration.

Dans ses conclusions présentées le 2 juillet 2019, l’avocat général près la CJUE invite la Cour à annuler l’arrêt du TUE.

Il observe que même si la protection de la liberté d’expression n’est pas l’objectif premier poursuivi par le droit des marques, elle y est manifestement applicable.

L’avocat général note que l’EUIPO a un rôle à jouer dans la défense de l’ordre public et des bonnes mœurs, même si ce n’est pas son rôle premier. S’agissant des notions d’ »ordre public » et de « bonnes mœurs » auxquelles se réfère le règlement précité, tout en reconnaissant quelques chevauchements, l’avocat général les distingue et est d’avis que différents éléments doivent être pris en considération pour leur appréciation.

Si l’EUIPO souhaite invoquer spécifiquement le motif absolu d’enregistrement tiré de la contrariété aux bonnes mœurs, comme en l’espèce, il lui faut établir les raisons pour lesquelles, à son avis, un signe donné porterait atteinte à ces principes. Cet avis doit se fonder sur un contexte social précis et ne saurait faire l’impasse sur des faits probants venant confirmer ou jeter un doute sur ses propres vues sur le point de savoir ce qui est conforme ou non aux bonnes mœurs d’une société donnée à un moment donné.
En l’espèce, l’avocat général estime que l’appréciation de l’EUIPO, validée par le Tribunal, ne satisfait pas à ces principes.

Enfin, l’avocat général est d’avis que le TUE a commis une erreur de droit en ne censurant pas l’absence d’explications par l’EUIPO des raisons pour lesquelles il s’est écarté de sa pratique décisionnelle antérieure ou l’absence de motif plausible justifiant pourquoi la demande d’enregistrement du signe « Fack Ju Göhte » a fait l’objet d’une décision différente par rapport à celle adoptée dans une affaire similaire et qui a été portée à l’attention de l’EUIPO par le porducteur dans sa demande d’enregistrement.