CEDH : atteinte au droit d’accès à un tribunal et à la liberté d’expression pour le responsable d’une émission de radio

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En 2006, le responsable d’une émission diffusée sur une station de radio fit une intervention consacrée à la situation de celle-ci depuis le décès de son fondateur.
Il relata dans un premier temps le déroulement d’une réunion organisée précédemment au sein de la radio au cours de laquelle le nouveau vice-président du conseil d’administration de l’association en charge de la gestion de la radio, aurait, avec le concours de gardes du corps, fait en sorte que les personnes présentes ne puissent pas s’exprimer.
Il critiqua ensuite la décision de ce nouveau vice-président de s’attribuer le contrôle de la ligne éditoriale de la radio et tint notamment le propos suivant : « (…) la situation financière de la radio a donné lieu à certaines… j’allais dire acrobaties… enfin, disons, à certains comportements dont l’orthodoxie demande à être vérifiée, et tout ceci me plonge dans une grande inquiétude… ».

En 2009, le tribunal correctionnel de Paris déclara le requérant coupable de diffamation publique envers un particulier, aux motifs qu’il imputait à la partie civile des agissements pouvant revêtir une qualification pénale ou, à tout le moins, emporter la mise en œuvre de sa responsabilité. Il jugea qu’il ne pouvait pas bénéficier de la bonne foi en l’absence d’éléments sérieux permettant de justifier ses accusations.
La cour d’appel confirma la condamnation du requérant, mais la Cour de cassation déclara le pourvoi du responsable de l’émission irrecevable, aux motifs que celui-ci avait donné à son avocat un mandat spécial pour agir en cassation daté du 25 mai 2010, alors que l’arrêt de la cour d’appel avait été rendu le 27 mai 2010.

Le 12 juillet 2016, la Cour européenne des droits de l’Homme a estimé qu’il y a violation de l’article 6 § 1 (droit d’accès à un tribunal) et de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’Homme (Convention EDH).

S’agissant du grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention EDH, la CEDH a jugé qu’en déclarant irrecevable le pourvoi en cassation du requérant aux motifs que celui-ci avait remis à son avocat un mandat spécial pour se pourvoir en cassation avant que l’arrêt de la cour d’appel ne soit rendu, les autorités ont fait preuve d’un formalisme excessif qui a porté une atteinte disproportionnée à son droit d’accès à un tribunal.

Concernant le grief tiré de l’article 10 de la Convention EDH, elle a estimé que le propos litigieux s’inscrivait dans un débat d’intérêt général et relevait de la liberté de presse dans le cadre de laquelle s’exprimait le requérant.
Selon la Cour, les juridictions internes se sont contentées de caractériser les éléments constitutifs de la diffamation, sans procéder à un examen des différents critères mis en œuvre par la CEDH dans le cadre de son contrôle de proportionnalité.
Elle ajoute que le juge national n’a pas effectué de distinctions entre les déclarations de fait et les jugements de valeur, alors que des violations similaires avaient déjà été constatées dans sa jurisprudence concernant l’article 10 de la Convention EDH.
Enfin, elle a conclu que le prononcé d’une condamnation pénale est l’une des formes les plus graves d’ingérence dans le droit à la liberté d’expression, eu égard à l’existence d’autres moyens d’intervention et de réfutation, notamment par les voies de droit civiles. Elle rappelle qu’elle a invité à plusieurs reprises les autorités internes à faire preuve de retenue dans l’usage de la voie pénale.