Liberté d’expression et vérité historique

Non classé

Des associations ont assigné un survivant du massacre perpétré en Limousin le 10 juin 1944, en qualité d’auteur de l’ouvrage intitulé « Oradour-sur-Glane, le drame heure par heure », ainsi que l’éditeur de l’ouvrage contenant le passage suivant :

« Au procès de Bordeaux, furent également jugés les Alsaciens (13 sur 21 prévenus) qui étaient, lors du massacre les hommes de main qui exécutèrent les ordres de leurs supérieurs hiérarchiques. Tous prétendirent avoir été enrôlés de force dans le corps SS. Je me permets d’apporter une nuance à cette affirmation. Lorsque les Allemands annexèrent l’Alsace et la Lorraine, il est certain que des jeunes furent pris de force pour aller combattre sur les fronts. Hormis sans doute quelques volontaires isolés, on ne constata pas la présence de Lorrains parmi les SS. Alors pourquoi des Alsaciens ? Je porterais à croire que ces enrôlés de force fussent tout simplement des volontaires ».

La cour d’appel de Colmar a accueilli les demandes des associations prétendant qu’avaient été dépassées les limites de la liberté d’expression en mettant en doute le caractère forcé de l’incorporation des Alsaciens dans les unités allemandes des Waffen SS, notamment ceux ayant participé ou assisté au crime de guerre commis en ces lieu et date.

Pour ce faire, les juges du fond ont énoncé que les commentaires de l’auteur ne pouvaient pas être assimilés à un témoignage et tendaient davantage à poursuivre une polémique née après la guerre et opposant pendant des décennies le Limousin à l’Alsace. Il est en effet un fait historique constant qu’à partir d’août 1942, les Alsaciens ont été incorporés de force dans l’armée allemande, sous peine de graves mesures de rétorsion. A partir de février 1944 le Gauleiter Y., qui concentrait tous les pouvoirs en Alsace, a étendu cet enrôlement forcé aux unités SS, contrairement au Gauleiter A. en Moselle, ce qui explique l’absence des Mosellans dans ces unités. Selon les juges, l’auteur a déduit à tort de cette circonstance que les Alsaciens présents à Oradour étaient des volontaires. En outre, le caractère forcé de l’incorporation de treize Alsaciens présents à Oradour le 10 juin 1944, un quatorzième étant volontaire, a été reconnu tant lors du procès tenu à Bordeaux en 1953 que par la loi d’amnistie du 20 février 1953.

Ce raisonnement est censuré au visa de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales.

La Cour de cassation considère en effet, dans un arrêt du 16 octobre 2013, que « les propos litigieux, s’ils ont pu heurter, choquer ou inquiéter les associations demanderesses, ne faisaient qu’exprimer un doute sur une question historique objet de polémique, de sorte qu’ils ne dépassaient pas les limites de la liberté d’expression ».

13/11/2013