Motivation insuffisante du délit de diffamation publique

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A la suite de la publication, le 25 septembre 2013, dans l’hebdomadaire Le Canard enchaîné d’un article intitulé « Des notes de la CIA et de la DGSE annoncent un coup d’Etat à Conakry » et sous-titré « Les troubles pourraient être déclenchés dès la semaine prochaine », article qu’ils estimaient intégralement diffamatoire à leur égard, une personne physique et une société ont fait citer devant le tribunal correctionnel de Paris le directeur de la publication de l’hebdomadaire, en qualité de prévenu, et son éditeur, en qualité de civilement responsable.
L’arrêt qui, confirmant la décision des premiers juges, déclarait nulle la citation a été annulé par la Cour de cassation, qui a renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel de Versailles.

La cour d’appel de Versailles a notamment déclaré le directeur de la publication coupable du délit de diffamation publique envers un particulier.

Après avoir rejeté l’exception de nullité de la citation, les juges du fond ont retenu que les propos poursuivis imputaient aux parties civiles d’avoir recruté des mercenaires, préparé un coup d’Etat, organisé une insurrection violente, corrompu le pouvoir en place et déstabilisé le régime guinéen par des moyens illégaux, pour favoriser un parti fictif et protéger leurs intérêts miniers.
Sur l’offre de preuve, les juges ont retenu que ni les documents produits, soit plusieurs textes, certains en langue anglaise, non traduits, et deux notes dites blanches, qui ne peuvent être rattachées à un quelconque service secret, français ou américain, ni les déclarations des témoins, compte tenu de leur teneur, ne démontraient d’aucune façon l’organisation ni même la participation des parties civiles au coup d’Etat visant le régime guinéen. Ils en ont déduit que la preuve de la vérité des faits diffamatoires n’était pas rapportée.
Pour refuser au prévenu le bénéfice de la bonne foi, les juges ont énoncé que le sujet de l’article, à savoir la situation à Conakry, était d’actualité, compte tenu de la proximité des élections dans ce pays, de sorte que l’information pouvait paraître légitime, mais que faisaient défaut la prudence nécessaire dans l’expression comme l’absence d’animosité envers les parties civiles, le journaliste s’étant borné à reprendre à son compte, sans aucun recul, la teneur comme les conclusions des deux notes confidentielles précitées, dont l’origine reste ignorée, et qu’il avait jeté un doute sur leur réalité, en taisant les investigations qu’il a affirmé avoir entreprises pour les accréditer, de sorte que la base factuelle nécessaire était insuffisante.

Dans un arrêt rendu le 7 janvier 2020, la Cour de cassation censure ce raisonnement au visa de l’article 593 du code de procédure pénale, rappelant que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties. L’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

La Haute juridiction judiciaire considère en effet qu’en se déterminant ainsi, la cour d’appel n’a pas justifié sa décision pour trois motifs :
– il lui appartenait d’analyser précisément les pièces de l’offre de preuve et les déclarations des témoins entendus à ce titre, également invoquées par le prévenu au soutien de l’exception de bonne foi, afin d’énoncer les faits et circonstances lui permettant de juger si les propos reposaient ou non sur une base factuelle, sans écarter les documents présentés comme des notes blanches au seul motif que le prévenu ne révélait pas par quelles sources il les avait obtenus ;
– elle ne pouvait refuser au prévenu le bénéfice de la bonne foi aux motifs d’un défaut de prudence dans l’expression et d’une animosité personnelle de l’auteur de l’article, alors qu’elle devait apprécier ces critères d’autant moins strictement que, d’une part, elle constatait, en application de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme, tel qu’interprété par la Cour européenne, que les propos s’inscrivaient dans un débat d’intérêt général, d’autre part, il résulte de ce qui précède que son appréciation sur la suffisance de leur base factuelle n’était pas complète ;
– elle ne pouvait déduire l’animosité personnelle du journaliste de sa seule analyse selon laquelle les propos seraient privés de base factuelle et exprimés sans prudence, alors qu’une telle animosité envers la partie civile ne peut se déduire seulement de la gravité des accusations et du ton sur lequel elles sont formulées, mais n’est susceptible de faire obstacle à la bonne foi de l’auteur des propos que si elle est préexistante à ceux-ci et qu’elle résulte de circonstances qui ne sont pas connues des lecteurs.