CEDH : bloquer l’accès d’une personne à un réseau social et à ses blogs pour l’empêcher d’appeler à manifester

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Un ressortissant russe a informé les services municipaux d’une ville de son intention d’organiser une manifestation statique dans le but d’engager le débat à la suite d’allégations de corruption à un niveau élevé de l’Etat.
Se fondant sur une loi régionale qui interdisait les manifestations publiques dans la partie de la ville où le requérant demandait à manifester, les services municipaux ont refusé d’autoriser l’événement et suggérèrent un autre lieu.
Le ressortissant a relaté ces événements sur son blog et publié des informations sur le réseau social VKontakte.
Son compte VKontakte a été bloqué sur ordre d’un procureur adjoint qui estimait qu’il appelait la population à prendre part à un événement public illégal, l’autorisation de manifestation statique lui ayant été refusée. Par une décision séparée, l’accès aux trois articles de son blog relatifs à l’événement fut restreint pour les mêmes raisons.

Dans un arrêt du 30 avril 2019, la Cour européenne des droits de l’Homme retient que les ordres de blocage du compte VKontakte du requérant et de limitation de l’accès aux trois articles de blog relatifs à la manifestation s’analysent en une « restriction préalable », le parquet ayant pris ces mesures avant qu’un tribunal ne se soit prononcé sur le caractère régulier ou non de leur contenu.
Pareilles restrictions préalables ne se justifient que dans des circonstances exceptionnelles et nécessitent un cadre juridique clair permettant aux juridictions de procéder à un contrôle effectif de ces mesures.

La Cour note que les parquets jouissent de pouvoirs étendus qui leur permettent de décider le blocage de l’accès à des publications en ligne relatives à la participation à des manifestations non autorisées.
Cette ample marge d’appréciation empêche les tribunaux de procéder à un contrôle effectif de ces décisions et signifie qu’un recours en justice a peu de chances d’être couronné de succès.

En outre, compte tenu du délai d’un mois accordé aux juridictions chargées de connaître de pareils recours, la procédure est susceptible de ne pas aboutir avant la tenue de l’événement, ce qui la vide de tout son sens. Partant, la procédure de blocage n’était pas accompagnée des garanties requises par la jurisprudence de la Cour relative aux mesures de restriction préalable à des fins de prévention des abus.

Les publications sur Internet portaient sur une manifestation statique concernant des questions d’intérêt général, à laquelle une cinquantaine de personnes seulement devaient participer. Par ailleurs, le requérant n’appelait ni à la violence, ni à des atteintes à l’ordre public. Le manquement à la procédure devant être suivie aux fins de l’organisation d’événements publics était donc purement formel et mineur.

Les mesures de restriction préalable ne répondaient pas à un besoin social impérieux et les tribunaux n’ont pas fourni de « motifs pertinents et suffisants » pour justifier une atteinte aux droits du requérant.
Il y a donc eu violation de l’article 10.