CEDH : la liberté d’expression du salarié face aux intérêts commerciaux de l’employeur

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Une banque hongroise a licencié un employé de son service des ressources humaines au motif que les articles qu’il publiait sur un site internet consacré à des questions de ressources humaines avaient violé les règles de confidentialité et nui à ses intérêts financiers et que le salarié disposait de renseignements dont la publication aurait été contraire aux intérêts commerciaux de la banque.

Les juridictions nationales se sont prononcées en faveur de la banque et la Cour constitutionnelle a débouté le salarié de son recours au motif que le contenu du site internet litigieux n’était pas protégé par la liberté d’expression en raison du fait que les articles ne concernaient pas des questions d’intérêt public.

Dénonçant une violation de son droit à la liberté d’expression (article 10 de la Convention EDH), le salarié a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). Il a fait valoir que les articles qu’il rédigeait pour le site internet étaient consacrés à des questions d’intérêt professionnel et public car ils concernaient des modifications des règles de l’impôt sur le revenu, mais d’une manière générale et sans lien direct avec son employeur.

Dans son arrêt rendu le 5 novembre 2019, la CEDH vérifie si les tribunaux se sont livrés à la mise en balance nécessaire du droit à la liberté d’expression du requérant, dans le contexte de sa relation professionnelle, à l’aune du droit de son employeur à la protection de ses intérêts commerciaux.

La Cour retient quatre éléments quant à l’ampleur des restrictions possibles au droit à la liberté d’expression dans le cadre professionnel en cause :
– concernant la nature des propos, la Cour estime que les propos litigieux, qui visaient un public professionnel, étaient de nature à être protégés car ils présentaient les caractéristiques d’une discussion sur des questions d’intérêt public ;
– s’agissant de l’intention de l’auteur, la CEDH note que les tribunaux internes sont pas relevé que les commentaires en cause étaient motivés par les conflits ou antagonismes personnels et approuve le requérant sur le fait que les questions évoquées sur le site se rapportaient à une profession et visaient au partage des connaissances ;
– concernant le préjudice invoqué par la banque, la Cour note que les tribunaux internes se sont concentrés sur la question du préjudice potentiel pour les intérêts commerciaux légitimes de la banque et de la possibilité que le requérant divulgue des renseignements commerciaux confidentiels. Ni l’employeur ni les juridictions n’ont cherché à démontrer en quoi les propos en question avaient pu porter préjudice à la banque. 
– sur la gravité de la sanction, la Cour estime qu’une mesure moins lourde que le licenciement n’a pas été envisagée.

La CEDH estime que l’issue du litige professionnel a été purement dictée par des considérations contractuelles entre la banque et le requérant, privant de tout effet le droit de ce dernier à la liberté d’expression.
Elle conclut que les autorités internes n’ont pas démontré de manière convaincante que le rejet de la contestation de son licenciement par le salarié reposait sur un juste équilibre entre les droits de chacune des parties. Elles n’ont donc pas satisfait à leur obligation découlant de l’article 10 et il y a eu violation de cette disposition.