CEDH : la police peut-elle conserver indéfiniment nos données personnelles ?

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Un automobiliste britannique a été arrêté en Irlande du Nord pour conduite en état d’ivresse, infraction emportant inscription dans les fichiers de la police. Conduit au commissariat, il a été soumis à un prélèvement d’haleine qui s’est révélé positif. Les policiers l’ont également pris en photo, relevé ses empreintes digitales et procédé à un prélèvement d’ADN.
Ayant plaidé coupable, il a été condamné au paiement d’une amende et s’est vu interdire de conduire pendant 12 mois.

Sa condamnation a été rayée de son casier judiciaire cinq ans plus tard. Deux ans après, à sa demande, son prélèvement ADN a été détruit. En revanche, la police d’Irlande du Nord conserve encore sans limitation de durée le profil ADN (données numériques) réalisé à partir de son échantillon ainsi que ses empreintes digitales et sa photographie. Le requérant a contesté en justice la conservation de ses données personnelles par la police, sans succès.

Invoquant l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) de la Convention EDH, le requérant a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Dans un arrêt rendu le 13 février 2020, la CEDH considère que la conservation du profil ADN, des empreintes digitales et de la photographie du requérant s’analyse en une atteinte à son droit à la vie privée, et que celle-ci visait un but légitime, à savoir la détection et, partant, la prévention des infractions pénales.

Elle examine ensuite si cette atteinte au droit à la vie privée était justifiée. Après avoir rappelé la marge d’appréciation accordées aux autorités nationales compétentes, la Cour observe qu’en s’accordant à lui-même le pouvoir le plus étendu en matière de conservation de données, à savoir le pouvoir de conserver des données personnelles sans limitation de durée, le Royaume-Uni s’est placé à la limite de sa marge d’appréciation.

Afin de déterminer si l’Etat a outrepassé cette marge d’appréciation, la CEDH recherche s’il existe certaines garanties effectives. Elle relève qu’en l’espèce, les données biométriques et la photographie du requérant ont été conservées sans qu’il soit tenu compte ni de la gravité de l’infraction commise ni de la nécessité de conserver indéfiniment les données en question. En outre, la police d’Irlande du Nord n’étant autorisée à supprimer les données biométriques et les photographies en sa possession que dans des cas exceptionnels, le requérant n’avait pas la possibilité de demander un réexamen de la décision de conserver celles-ci sans limitation de durée.

La Cour estime que la nature de ces pouvoirs ne traduisait pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents : le Royaume-Uni a donc outrepassé la marge d’appréciation qui était la sienne, et la conservation litigieuse s’analyse en une atteinte disproportionnée au droit du requérant au respect de sa vie privée, ne pouvant passer pour nécessaire dans une société démocratique. Partant, il y a eu violation de l’article 8 de la Convention.