Exhibition sexuelle au musée Grévin : est-ce l’intention qui compte ?

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Le 5 juin 2014, une femme s’est présentée au musée Grévin, à Paris, dans la salle dite « des chefs d’Etat », qui rassemble plusieurs statues de cire de dirigeants mondiaux. Elle a dévêtu le haut de son corps, révélant sa poitrine nue, portant l’inscription : “Kill Putin”. Elle a fait tomber la statue du président russe, Vladimir Poutine, dans laquelle elle a planté à plusieurs reprises un pieu métallique pour partie peint en rouge, en déclarant : « fuck dictator, fuck Vladimir Poutine ». Elle a été interpellée et a revendiqué son appartenance au mouvement dit « Femen », donnant à son geste le caractère d’une protestation politique.
Elle a été poursuivie devant le tribunal correctionnel pour exhibition sexuelle et dégradations volontaires du bien d’autrui.

Par jugement du 15 octobre 2014, le tribunal correctionnel de Paris l’a déclarée coupable de ces deux délits, l’a condamnée à une amende de 1.500 € et prononcé sur les intérêts civils. La prévenue et le ministère public ont relevé appel de ce jugement.
La cour d’appel de Paris s’est prononcée sur ces appels, par un arrêt du 12 janvier 2017 cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 10 janvier 2018 (pourvoi n° 17-80.816), qui a renvoyé la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.

Dans son nouvel arrêt, la cour d’appel de Paris a relaxé la prévenue de l’infraction d’exhibition sexuelle.

Les juges du fond ont retenu que la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du code pénal, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle, ne vise pas à offenser la pudeur d’autrui, mais relève de la manifestation d’une opinion politique, protégée par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

Ils ont indiqué que la prévenue déclarait appartenir au mouvement dénommé « Femen », qui revendique un « féminisme radical », dont les adeptes exposent leurs seins dénudés sur lesquels sont apposés des messages politiques, cette forme d’action militante s’analysant comme un refus de la sexualisation du corps de la femme, et une réappropriation de celui-ci par les militantes, au moyen de l’exposition de sa nudité.

Les juges ont ajouté que le regard de la société sur le corps des femmes a évolué dans le temps, et que l’exposition fréquente de la nudité féminine dans la presse ou la publicité, même dans un contexte à forte connotation sexuelle, ne donne lieu à aucune réaction au nom de la morale publique.

Ils ont enfin souligné que si certaines actions menées par les Femen avaient été sanctionnées comme des atteintes intolérables à la liberté de pensée et à la liberté religieuse, le comportement de la prévenue au musée Grévin n’entrait pas dans un tel cadre et n’apparaissait contrevenir à aucun droit garanti par une prescription légale ou réglementaire.

Dans un arrêt rendu le 26 février 2020, la Cour de cassation considère que c’est à tort que la cour d’appel a énoncé que la seule exhibition de la poitrine d’une femme n’entre pas dans les prévisions du délit prévu à l’article 222-32 du code pénal, si l’intention exprimée par son auteur est dénuée de toute connotation sexuelle.
Elle juge cependant que l’arrêt n’encourt pas la censure, dès lors qu’il résulte des énonciations des juges du fond que le comportement de la prévenue s’inscrit dans une démarche de protestation politique, et que son incrimination, compte tenu de la nature et du contexte de l’agissement en cause, constituerait une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression.