CEDH : reproduction de symboles nazis dans un blog

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Un ressortissant allemand tient un blog sur lequel il traite de diverses thématiques économiques, politiques et sociétales. En mars 2014, l’agence pour l’emploi a adressé une lettre à sa fille, d’origine germano-népalaise, pour savoir si elle avait l’intention de poursuivre sa scolarité après septembre 2014, de se lancer dans une formation professionnelle ou de faire des études supérieures.
En réaction, le blogueur a publié six billets consacrés aux échanges entre sa fille et l’agence pour l’emploi. Dans l’un d’entre eux, il déclarait que cette lettre, rédigée par un employé de l’agence, avait été dictée par la volonté de cet établissement de pousser de manière raciste et discriminatoire sa fille vers un emploi peu rémunéré, dans les rangs de la main-d’oeuvre à bon marché. En outre, il a publié une déclaration sous le titre « [nom de l’employé] propose une intégration ‘personnalisée’ dans l’économie à bas salaires ». En-dessous figurait une photographie d’Heinrich Himmler revêtu de l’uniforme de la SS avec un insigne représentant la croix gammée, accompagnée d’une citation de Himmler sur la scolarisation des enfants en Europe de l’Est pendant l’occupation nazie. Sous la photographie, il interpellait l’employé par son nom et indiquait qu’il allait dans son blog analyser les demandes de l’agence pour l’emploi.

En janvier 2015, le tribunal d’instance de Munich a déclaré le blogueur coupable, entre autres, d’avoir utilisé les symboles d’organisations inconstitutionnelles. En appel, le tribunal régional a confirmé la condamnation en considérant que le blogueur n’avait pas clairement pris ses distances avec l’idéologie nazie dans le billet litigieux et qu’il avait utilisé la photographie aux fins d’attirer l’attention. En décembre 2015, la Cour constitutionnelle fédérale a refusé d’examiner son recours.

Invoquant l’article 10 de la Convention EDH, le requérant a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).

Dans son arrêt rendu le 5 avril 2018, la CEDH note que la décision de l’Allemagne d’ériger l’utilisation de symboles nazis en infraction pénale doit être replacée dans le contexte de l’histoire du pays, bien que la législation nationale prévoie une exonération de responsabilité lorsque l’opposition à l’idéologie en question a été clairement exprimée.

Elle observe que le symbole utilisé par le requérant ne pouvait pas être considéré comme renvoyant à autre chose qu’à l’idéologie nazie. Par ailleurs, le requérant avait forcément connaissance de la législation en question, ne serait-ce que parce qu’il avait déjà été condamné pour avoir publié une image de la chancelière Angela Merkel portant un uniforme nazi et un brassard orné de la croix gammée et sur laquelle on avait peint la moustache d’Hitler.

La CEDH admet que le requérant n’avait pas pour intention de propager l’idéologie nazie et qu’il a pu penser qu’il contribuait à un débat d’intérêt général. Elle considère que la question se pose de savoir si les tribunaux auraient dû examiner le billet litigieux en même temps que les autres concernant le bureau de l’emploi et sa fille. Cependant, le billet en cause ne contenait aucun renvoi ou lien visible vers les billets précédents et le requérant ne mentionnait ni l’origine germano-népalaise de sa fille ni le fait qu’il percevait lui-même des allocations de la sécurité sociale, ce dont il résulte qu’il n’était pas possible de saisir clairement pourquoi la demande formulée par l’employé de l’agence pour l’emploi pouvait être comparée à ce qui s’était produit sous le régime nazi.

La Cour conclut qu’il ne peut être reproché aux juridictions nationales d’avoir conclu que le requérant avait recouru aux images litigieuses aux fins d’attirer l’attention et qu’il n’avait pas rejeté clairement et manifestement l’idéologie nazie dans son billet de blog.

Ainsi, les raisons avancées par les autorités nationales pour justifier l’ingérence dans l’exercice par le requérant de son droit à la liberté d’expression n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation. Cette ingérence était donc « nécessaire dans une société démocratique ».