CEDH : taxer Mahomet de pédophile outrepasse-t-il les limites de la liberté d’expression ?

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En 2009, une ressortissante autrichienne a tenu deux séminaires intitulés « Informations de base sur l’islam », au cours desquels elle a évoqué le mariage entre le prophète Mahomet et la jeune Aïcha alors âgée de 6 ans et le fait que ledit mariage aurait été consommé lorsque celle-ci avait 9 ans. A cette occasion, elle a déclaré que Mahomet « aimait le faire avec des enfants » et s’est interrogée en ces termes : « un homme de 56 ans avec une fille de 6 ans (…) De quoi s’agit-il, si ce n’est de pédophilie ? ».
En février 2011, le tribunal correctionnel régional de Vienne a condamné la conférencière pour dénigrement de doctrines religieuses. La cour d’appel de Vienne ayant confirmé cette décision, la requérante a formé une demande en révision qui a été rejetée par la Cour suprême en décembre 2013.

La requérante a alors saisi la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), reprochant aux juridictions nationales de ne pas avoir examiné la substance des déclarations litigieuses à la lumière de son droit à la liberté d’expression, en violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention EDH.

Dans son arrêt rendu le 25 octobre 2019, la CEDH note que le caractère particulièrement sensible de l’affaire, lié à l’époque et au contexte où les déclarations litigieuses ont été formulées, autorise les autorités nationales à bénéficier d’une ample marge d’appréciation pour déterminer quelles sont les déclarations susceptibles de troubler la paix religieuse dans le pays.

La Cour rappelle que sa jurisprudence établit une distinction entre déclaration factuelle et jugement de valeur. Elle souligne que le second ne se prête pas à une démonstration de son exactitude mais qu’un jugement de valeur dépourvu de base factuelle suffisante risque d’être excessif.

En l’espèce, la CEDH relève que les juridictions nationales ont expliqué de façon exhaustive en quoi elles considéraient que les déclarations de la requérante étaient susceptibles de provoquer une indignation justifiée. La Cour souscrit en particulier à l’avis des tribunaux nationaux selon lequel la conférencière avait subjectivement taxé Mahomet de pédophilie, y voyant sa préférence sexuelle générale, et qu’elle n’avait pas donné à son auditoire des informations neutres sur le contexte historique, ce qui n’avait pas permis un débat sérieux sur la question.

La Cour juge en conclusion que les juridictions nationales ont en l’espèce soigneusement mis en balance le droit de la requérante à la liberté d’expression et les droits d’autres personnes à voir protéger leurs convictions religieuses et préserver la paix religieuse dans la société autrichienne.