Régime dérogatoire de l’Ina : le consentement de l’artiste est présumé

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Les ayants droit d’un batteur de jazz décédé en 1985 ont assigné l’Institut national de l’audiovisuel (Ina) pour avoir commercialisé sur son site internet, sans leur autorisation, des vidéogrammes et un phonogramme reproduisant les prestations de l’artiste.
Ils demandaient réparation de l’atteinte ainsi prétendument portée aux droits d’artiste-interprète dont ils sont titulaires, en invoquant l’article L. 212-3 du code de la propriété intellectuelle, aux termes duquel sont soumises à l’autorisation écrite de l’artiste-interprète la fixation de sa prestation, sa reproduction et sa communication au public, ainsi que toute utilisation séparée du son et de l’image de la prestation lorsque celle-ci a été fixée à la fois pour le son et l’image.

Le 10 mars 2017, la cour d’appel de Versailles a rejeté leurs demandes.
Les juges du fond ont constaté que l’Ina avait une mission particulière donnée par les lois successives de conserver et de mettre en valeur le patrimoine audiovisuel national, qu’il assurait la conservation des archives audiovisuelles des sociétés nationales de programme et contribuait à leur exploitation, qu’il détenait seul les archives de son fonds et était seul titulaire des droits de leur exploitation. Ils ont précisé que les vidéogrammes et phonogrammes litigieux étaient soumis au régime dérogatoire dont bénéficie l’Ina.
Les juges en ont déduit que le batteur de jazz avait participé à la réalisation de ces œuvres aux fins de leur radiodiffusion par des sociétés nationales de programme et qu’il avait, d’une part, connaissance de l’utilisation envisagée de sa prestation, d’autre part, effectué sa prestation aux fins d’une telle utilisation.

Le 11 juillet 2018, la Cour de cassation a posé à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) une question préjudicielle portant sur l’interprétation des articles 2, sous b), 3, § 2, sous a), et 5 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, au regard de l’article 49, II, de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, modifiée par l’article 44 de la loi du 1er août 2006, instaurant, au profit de l’Ina, un régime dérogatoire pour l’exploitation des prestations des artistes-interprètes constituant son fonds.

Dans son arrêt du 14 novembre 2019, la CJUE a dit pour droit que les dispositions de la directive précitée doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une législation nationale qui établit, en matière d’exploitation d’archives audiovisuelles par une institution désignée à cette fin, une présomption réfragable d’autorisation de l’artiste-interprète à la fixation et à l’exploitation de sa prestation, lorsque cet artiste-interprète participe à l’enregistrement d’une œuvre audiovisuelle aux fins de sa radiodiffusion.

Dans un arrêt rendu après cassation (pourvoi n° 14-19.917) le 22 janvier 2020, la Cour de cassation considère que c’est à bon droit que la cour d’appel de Versailles a énoncé qu’en exonérant l’Ina de prouver par un écrit l’autorisation donnée par l’artiste-interprète, l’article 49, II, de la loi du 30 septembre 1986 modifiée, ne supprimait pas l’exigence de ce consentement mais instaurait une présomption simple d’autorisation qui pouvait être combattue et ne remettait pas en cause le droit exclusif de l’artiste-interprète d’autoriser ou d’interdire la reproduction de sa prestation ainsi que sa communication et sa mise à la disposition du public.