CEDH : condamnation d’un journal pour avoir publié des actes de la procédure pénale

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En 2009, un journal français a publié un article relatant des dons faits par une des plus grosses fortunes de France à un ami écrivain et photographe. L’article comportait des propos entre guillemets, présentés comme des extraits de dépositions faites aux enquêteurs.
En février 2010, les journalistes ont publié un article sous le titre dans lequel furent reproduits de longs extraits de dépositions de personnes travaillant au domicile de la fortunée qui avaient été recueillies lors de l’enquête préliminaire.

L’intéressée a par la suite assigné les requérants en référé devant le tribunal de grande instance (TGI) de Paris, son ami écrivain faisant de même, soulevant que la reproduction d’actes de procédure extraits de l’enquête préliminaire méconnaissait l’article 38 de la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse et l’article 9 du code civil qui garantit le respect de la vie privée.

Le tribunal a condamné les requérants à leur verser une somme de 3.000 €, sanction confirmée et majorée en appel, les juges du fond estimant que leur publication constituait une violation de l’article 38 de la loi de 1881.

Devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), les requérants ont argué que leurs condamnations civiles, fondées sur l’article 38 précité avaient entraîné une violation de leur liberté d’expression.

Dans une décision du 1er juin 2017, la CEDH considère que les requérants sont des professionnels avertis, en position d’évaluer le risque auquel ils s’exposaient et estime que l’ingérence dans la liberté d’expression des requérants était prévue par la loi, dont le but de protéger le droit de l’écrivain à un procès équitable dans le respect de la présomption d’innocence et, en ce qui concerne la fortunée, de protéger ses droits en garantissant une bonne administration de la justice.
Par ailleurs, la Cour relève que l’appréciation du contenu de l’article publié en 2009 n’était pas neutre à l’égard de l’écrivain et allait sans nuance dans le sens de son accusation, au mépris de la présomption d’innocence.
La CEDH estime également que les propos reprochés aux requérants, qui concernaient des personnes publiques et le fonctionnement du pouvoir judiciaire, s’inscrivaient dans le cadre d’un débat d’intérêt général qui dépassait la curiosité d’un certain public sur un événement ou un procès anonyme mais que le fait que les juridictions nationales n’aient pas trouvé assez pertinent l’éclairage que pouvaient apporter ces publications pour le débat public et l’intérêt du public relève de leur légitime marge d’appréciation.

Enfin, la Cour considère que les sanctions prononcées à l’encontre des requérants ne sont pas excessives ou de nature à emporter un effet dissuasif pour l’exercice de la liberté des médias et que les motifs avancés par les juridictions nationales pour justifier la condamnation des requérants et l’ingérence dans leur droit à la liberté d’expression étaient pertinents et suffisants aux fins de l’article 10 de la Convention EDH.
De plus, elle retient que les condamnations répondaient à un besoin social assez impérieux pour primer l’intérêt public s’attachant à la liberté de la presse et qu’elles ne sauraient passer pour disproportionnées au regard des buts légitimes poursuivis.

Il n’y a donc pas eu violation de l’article 10 de ladite Convention.